mercredi 21 novembre 2012

Le goût du divertissement ("Dans ma bouche", François Simon)




François Simon, je l’aime malgré tout. Malgré ces petites phrases, ses jugements, ses pics, ses tics et tocs, ses manies, ses mots fétiches (croquignolet, mansuétude, indulgence, vaillant, solide, bienveillant, désarmant, elliptique…). Je l’imagine tout content de lui, souvent, tout fier de son talent d’observateur, heureux de sa distance au monde, bas monde empli de ploucs et d’aspirants du Bon Goût, de bobos en goguette, de jolies apprêtées, de comédiens du quotidien. Je l’imagine satisfait de jouer la satisfaction, pas dupe de son jeu, mais poursuivant tout de même, bon pied, bon œil. Sans doute prisonnier de ses mises en abymes. Miroir, miroir.


François Simon m’évoque cette catégorie d’ami précieux, souvent absent, cet ami que l’on déguste une ou deux fois l’an, pas besoin de plus. Il nous est cher, mais n’est pas dans le quotidien, cette fréquence qui exhiberait ses travers, ses vices, ses insupportables et ordinaires petits défauts. Sa rareté lui confère cette délicieuse saveur de fête… c’est l’ami de luxe, en somme.
Ses livres (roman, récit, qu’importe) font partie de ces petits bonheurs luxueux ; il faut les savourer doucement, ouvrir la chose, la laisser s’aérer, en savourer les pleins et les déliés, la grâce ; il faut se laisser le temps de les désaimer, un peu, de s’en agacer ; puis d’y revenir.

Esthète, libertin, dandy, timide maladif, provoc, agaçant … secret, surtout. Dans le microcosmos foodingue, il est assez amusant d’observer le mythe : critique masqué, adulé, détesté, on est incontestablement pro ou anti. C’est drôle, je me souviens à peine de la rencontre que j’avais provoquée, il y a des années, sous le prétexte de mon mémoire sur les empires de chefs. De cette petite heure de conservation dans un café près de Chatelet, il ne me reste que le goût de mon intimidation, et quelques lignes d’un très beau visage.

Pro ou anti, donc. Moi (moi moi moi), je suis pour. J’ai parfois pris mes distances, mais je reviens toujours au bercail.  Et je ne saurai que trop recommander la lecture de « Dans ma bouche », délectable auto-fiction où s’entremêlent émotions culinaires et émois sensuels. Plongée dans les plaisirs du corps, les jouissances de la bouche. Pour mieux contourner les affres de l’esprit.

Le corps est donc au cœur, la bouche en étant l’organe le plus à même d’appréhender le monde : monde des sens, plaisirs et déceptions, monde de rêveries, désillusions, bonne chère, chairs tristes, voluptueuses, joueuses, solitudes.
François Simon n’est pas jouisseur, hédoniste, épicurien. Les dérapages sont contrôlés, le corps est maîtrisé, garant de la clarté et de la vivacité de l’esprit.
On entend presque le petit diable sur son épaule, susurrant avec malice de lâcher prise, de mettre le pilote automatique. Il faudra alors de bons vins, ou un peu de drogue. Maudite conscience, elle ne se laisse pas mater comme ça.

On se sent bien chez François Simon, le corps est léger, l’esprit est vif, allant, piquant. Je me sens bien dans ces lignes, ces mots pour lesquels la nourriture, la conquête, les femmes, ne sont qu’un prétexte ; un divertissement.

« Dans ma bouche », ou François Simon à son apogée pascalienne : à tout prix, échapper à l’ennui, à la conscience aigue de son insuffisance, impuissance, vanité.

« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement ; et cependant c’est la plus grande de nos misères » - Pascal, fragment 171-414

On fait ce qu’on peut. Et François Simon le fait si bien. 



"Dans ma bouche", François Simon - Flammarion



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