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Cookie,
C’est à moi que revient la tâche difficile du début, de la bonne accroche, de celle qui fera tenir le lecteur jusqu’au bout. Je vais oser, en essayant d’abord de te toucher toi. Je sais à quel point le sucré, tant négligé parfois, est un terrain immense d’expériences, de gourmandises, parfois d’incompréhensions pour toi. Alors j’ai très envie de te parler du craquelin de porc de Kobe Desramault. Pas seulement parce que je sais que tu auras des choses à en dire, mais aussi parce que je l’ai goûté, voici quelques mois. Je me souviens des quelques minutes qui ont précédé, j’étais partagée entre la curiosité et l’angoisse du porc servi comme une douceur. Et pourtant, je crois que c’est un des desserts les plus marquants de ma vie : le porc comme élément brut soutenu par le sucré du praliné aux noix, l’amertume de la bière Panepot, le caramel noir de chicorée, la glace onctueuse à la bière, cette meringue que tu aurais adoré,le sabayon, tout y était. Peut-être aussi parce que Kobe Desramault nous avait apporté ce dessert empli de doutes, de réserve. Il avait cette même discrétion au OFF de ceux qui ne sont pas forcément à l’aise en public mais pour qui la passion du métier l’emporte et nous emporte…
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Sophie, Oh oui j’aime le sucré, c’est mon terrain de jeu favori sans pour autant être une fin en soi ; j’aime le sucré dans son rapport au salé, dans ses frontières floues, dans ses touches, ses flirts acides, amers, croquants, moelleux, onctueux, vifs, dans sa liaison d’amour avec le grain de sel. Et j’aime le salé pour les mêmes raisons. Je me demande bien quand ces deux mondes vont cesser de vivre parallèlement, malgré les discours d’ouverture sur la chute de leur mur. Même si je salue la démarche d’une place publique laissée au sucré, je dois bien avouer que c’est encore dans la sphère des cuisiniers que je me suis laissée emporter par de beaux élans gourmands. Ce craquelin me parle beaucoup, cette composition me parle, parce que, comme tu le dis, tout y est : du gras, du rond, de l’enrobant, et de l’amertume, du croquant, de la texture, de la vie ! un dessert devrait toujours être comme ça : à l’opposé du redondant et de l’affectation des pâtissiers constructivistes :-) Kobe était peut être empli de doutes, mais il me semble à mille lieux des apprentis sorciers que l’on croise parfois, souvent. Sur un autre registre, j’ai adoré les « douceurs » d’Alexandre Gauthier, la boule de glace à l’oseille balancée dans l’assiette, et cette meringue de pierre … Tous ses plats portaient la marque d’une belle assurance (même si je crois que le crédo de l’impertinence ne doit pas s’éterniser dans sa créativité), et il me tarde de faire la route jusqu’à la Madeleine .
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Cookie,
Ah l’impertinence, j’ai tellement aimé ce mot ! Alexandre Gauthier l’a bien distingué de la provocation, pour empêcher tout détracteur de le prendre comme tel. Sa cuisine est radicale, sauvage, parfois brutale, mais n’est surtout pas ostentatoire ou démonstrative. Avec ces vieilles branches de brocoli, il s’affranchit de toutes les bienséances cuisinières et c’est peut-être cela qui le rend impertinent. Il n’utilise aucun ingrédient de trop, a supprimé les fruits de mer de son menu dégustation, par souci de « recadrage ». Surprise, moi qui avais tellement plongé dans ses coques, amandes et fraises vertes. Mais Alexandre Gauthier semble savoir que rien ne doit être figé, que « les plats signatures » ne devraient même pas exister, que la cuisine se vit de l’instant et se mérite, un peu ! Ses châtaignes piquantes qui abritent une glace au pain brûlé et une nougatine cacao en sont le plus bel exemple. Mais que dire des autres, ceux qui ne réfléchissent pas leur cuisine en terme d’effet mais simplement en terme de goût, les cuisiniers nourriciers ?
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Arnaud Daguin par exemple ? qui semble bien être une cuisine de goût et de gourmand, essentielle dans ses choix, ou plutôt ses envies, sa générosité. C’est drôle comme le décalage apparent entre le cadre ultra contemporain et minimaliste de sa table d’hôte et sa cuisine voluptueuse est en fait une adéquation totale : un grand four ancien, de beaux légumes, la proximité avec les producteurs, il n’y a pas de superflu, tout est dans le respect et la simplicité. Il m’est apparu comme le symbole de l’hospitalité, de la commensalité. Dans l’esprit des Troisgros et du Grand Couvert . Il y a aussi cette franche gourmandise et cette envie de donner du plaisir à s’en lécher les doigts chez ce frenchie de Greg.
Ce qui compte, au fond, ce sont ces petites étoiles dans les yeux de ceux qui mangent et font manger, non ? Au fait, quoi de neuf chez Monsieur Passard ? Nous avons dû quitter Deauville sans l’écouter. T’embrasse
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J’ai aimé la poésie d’Arnaud Daguin : « La petite armure du légume a été sacrifiée à l’autel du goût », j’ai ri à ces injonctions du Docteur Coudran, à la tendresse qu’il avait en parlant de sa « designeur de femme », à sa dégaine d’écrivain d’un autre temps, bref, un très joli personnage, qui revivifie mon envie d’aller me perdre chez Hegia !
C’est drôle que tu parles de Passard, sans doute parce que ces deux hommes ont un vrai rapport au produit, une vraie sensualité autant quand Arnaud Daguin désosse son pigeon, que quand Alain Passard évoque les couleurs de ses légumes en les effleurant de la main. Ah Passard, quelle aura ! Ce moment d’échange à quatre voix a été d’une rare beauté. Peut-être parce qu’Alain Passard est venu accompagné de son jardinier, peut-être parce qu’il a su se faire tout petit à côté des vrais protagonistes, ses légumes, peut-être parce qu’il est arrivé avec un dénuement essentiel à l’imprégnation de ses mots et gestes de cuisinier. Peu de techniques, juste une poêle frémissante qui abrite presque nonchalamment des légumes racines vibrant de parfums , tout juste un « je mets au service du légume tout mon savoir faire de cuisinier animal » . Une phrase qu’Andrea Petrini a presque dû lui extorquer tant son rapport au légume semble intime et évidant. Une évidence qui obéit immuablement à la règle des saisons « si on pense les produits 12 mois sur 12, on n’a pas le repos créatif nécessaire ». Que veut dire Monsieur Passard ici ? Que le produit guide la création, que c’est de lui qu’elle émane ? Qu’en penses-tu Cookie, as tu eu cette impression d’autres cuisiniers ?
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mmmmmmmmhhhhhhhhhh …….. dure question, parce qu’en fait, le discours général est tout de même de dire que c’est le produit qui donne les lignes directrices, le produit, la saison, l’origine : la raison. Les cuisiniers qu’on aime toi et moi ont forcément cette intelligence là, de prendre la nature non comme une contrainte mais comme un donné, à partir de quoi on brode et laisse parler ses sens et son âme. La création n’émane pas du produit, mais il lui donne un cadre, un châssis. J’ai adoré voir transposé le bouillonnement d’idées en film, chez Inaki, Christian Puglisi ou Alexandre Gauthier. Toi qui aime tant l’image, qu’en as-tu pensé ?
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J’ai été bouleversée par le film d’Inaki. Je n’ai pas cherché à lui trouver un sens, à savoir ce qui se cachait derrière chaque image, chaque son, je me suis laissée transporter dans son univers, en me laissant bercer par les couleurs ambres, dorées, boisées… C’est toute sa cuisine qui apparaît dans ce film, une cuisine d’instinct, d’instant comme ces plans saccadés, ces produits bruts filmés en macro pour plus de proximité, là encore d’intimité. D’ailleurs Inaki a fait allusion à l’importance de l’œil autant que celle du goût « rechercher autant l’œil que le goût » et continuer à séduire quitte à se tromper ou à ne pas arriver au résultat attendu comme avec son lait fermenté infusé au hareng, cette faisselle chaude aux notes fumées, sans doute trop liquide aux yeux du cuisinier, mais qu’importe ! Il y a la trévise imprégnée d’huile d’agrume pour oser pousser l’amertume, l’orange sanguine, le pomelo, la poudre de poutargue…le mangeur en veut encore !
J’ai noté au cours des démonstrations « l’écran, comme témoin » : l’écran qui fige une image qui ne se reproduira pas, parce que la cuisine vit, parce qu’elle est mouvement, parce qu’elle est moment. C’est d’ailleurs ce qui lui donne toute sa fragilité et en même temps, toute sa force. Et en même temps, je me souviens de cette phrase d’Andrea Petrini « les chefs seraient-ils tous devenus proustien ? » comme si sans leur passé, sans leurs racines, sans leur enfance, ces faiseurs de goût n’avaient plus matière à créer…
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Sans doute ne cuisine-t-on jamais totalement au présent, sans doute y a-t-il toujours en jeu l’ingrédient de la mémoire. C’est même absurde de le constater. Une mémoire pas fatalement nostalgique, mais une mémoire témoin, trace du sensible. Et, sans doute, l’esprit du cuisinier ne se laisse jamais aussi bien porter par le geste intuitif et l’instant que lorsqu’il est chargé du passé et d’ailleurs.
Mais tu as raison, la cuisine a besoin de témoins, en mots et images, même si le goût, lui, ne saura jamais se laisser réduire à eux. On ne peut pas fixer l’émotion du goût en éprouvettes et c’est tant mieux. Parce que la cuisine, c’est dire « je suis vivant », c’est de l’amour, et l’amour en éprouvette, je ne connais pas.
Ces faiseurs de goût qui déforment et transforment leur vie et leurs voyages dans le temps et l’espace en quelques moments de grâce, rares et précieux, ceux-là nous font frôler le sublime. Et on les en remerciera jamais assez.
Je te laisse, j’ai une brioche à surveiller.
Merci pour ces beaux échanges. La cuisine et la pâtisserie sont un art...
RépondreSupprimerJe l'attendais, celui-là, depuis que je suis rentrée avec toutes ces images qui bouillonnaient dans ma petite tête... J'attendais aussi celui de Sophie. On n'en aura pas deux pour le prix d'un, mais un à quatre mains, et c'est tant mieux (je voulais faire une blague sur le tant pour tant, mais là je suis à court).
RépondreSupprimerDéjà parce que ces yeux-là, ils ont vu des merveilles que j'ai ratées, comme le porc de Kobe, le devoir m'ayant appelée à aller voir un dessert trop raisonnable. Une glace graphique, revendiquant un peu trop son acidité et sa légèreté.
Je lis avec plaisir que Kobe (oui maintenant c'est comme Inaki, je les appelle tous par leur prénom!) est venu avec ses doutes.
Tout comme j'ai tant apprécié (vengeance, ceux-là vous les avez vu ni l'une ni l'autre!) la simplicité du trio de Suédois dessinant (oui, dessinant) ces assiettes si poétiques qui m'ont tant émues.
L'impertinence peut-être, encore plus quand elle n'est pas revendiquée. La cuisine moralisatrice, non (mais ça vous l'aviez compris).
La sensualité... par essence, elle ne devrait pas être absente à mon sens. La cuisine, c'est offrir le réveil des sens, non? (Même quand ils sont pas endormis comme les vôtres, btw).
Comme Sophie, mes yeux sont restés écarquillés devant le film d'Inaki, enfin plutôt de son pote Nanda. Donner à voir ce que tu as entre les mains, ou dans l'assiette, en plus beau parce que dans toute son essence. J'ai aimé passer à cette échelle, comme ça, sans prévenir : un tout petit peu plus petit, et infiniment beau. Sophie, tu parles d'instinct. Voilà. Savoir intrinsèquement que les stries d'un champignon c'est magnifique. Mais le partager.
Et le partage, c'est un art dans lequel vous excellez, girls.
cuisine, art éphémère en plusieurs dimensions, voir travailler ces artistes nous le rappelle...
RépondreSupprimerJe pensais naïvement que le OFF était réservé aux pro ... joli billet ... un très bon reportage aussi sur le sujet sur le Blog des Frères Pourcel (sans le "s", même si ils sont 2 ... ok, je sors)
RépondreSupprimerMerci pour ce bel article (je decouvre votre blog)
RépondreSupprimerUqelle est cette "bulle" sur la 1e photo?
SUr la 3e photo, pardon … (la 1e de plat)
RépondreSupprimerMerci pour ces jolis mots .
RépondreSupprimerLa boule sur la photo, c'est une boule de glace à l’oseille dans une coque de sucre, d'Alexandre Gauthier.