jeudi 22 avril 2010

noma experience


Je suis une gourmande, mêlée d’une impatiente. Je veux, tout de suite, ici, maintenant, déguster, savourer, profiter. Si l’envie survient, elle sera brutale, franche, et un brin capricieuse.

Une exception pourtant : qu'il est bon de laisser monter ce désir intense avant un repas d’exception. Ces repas aux attentes si élevées que leur arrivée devient presque angoissante, ils sont rares, et cette rareté ne joue certainement pas pour rien dans leur saveur.

Photo Food Snob

La réservation plusieurs mois à l’avance ne me dérange pas ; ça y est, notre nom est inscrit, le moment peut entrer dans l’esprit, on y pense de temps en temps, on l’oublie finalement pour mieux le laisser resurgir quelques semaines avant. Là, et jusqu’au jour d’avant, le désir qui mijotait tranquillement dans un coin de l’esprit se met à frémir puis entre en ébullition. L’excitation et l’espérance sont à leur comble ; mais le doute s’en mêle : n’a-t-on pas trop enjolivé l’affaire ? et si c’était un jour « sans » ? suis-je suffisamment en forme ? serai-je à la hauteur ?


Le jour n’est pas levé, nous filons vers l’aéroport, direction Copenhague. Le moment est venu, j’ai mémorisé l’itinéraire par cœur, excitée comme une puce, et nous trottinons gaiment.
Au bout de la presqu’île, improbable : Noma.


Dans un pays où ne règne pas a priori d’évidence gastronomique, ce lieu est sans doute une curiosité. De fait, le succès a pris son temps pour parvenir jusqu’ici. Des années durant lesquelles René Redzepi a poursuivi son engagement pour une cuisine locale, celle qu’on appelle désormais la nouvelle cuisine nordique, dont la philosophie est synthétisée dans son manifeste.

Cet engagement, c’est le cœur de Noma. C’est ce qui lui a permis de naître en 2003 lorsque, approché par Claus Meyer – le plus grand foodie du Danemark – Redzepi a été choisi pour faire vivre et offrir au monde la gastronomie locale, en faisant exploser une créativité au travers d’ingrédients et de produits ; tel un flagship store, il fallait un lieu où puisse s’exprimer le potentiel de cette cuisine. Ainsi naquit Noma, ou NOrdisk MAd, cuisine nordique.

C’est le mot vérité qui s’impose d’abord, tant par le décor sobre et chaleureux que par l’accueil. Ces sourires-là ne mentent pas.

Commence l’expérience, le menu nassaaq, en douze plats, une demie douzaine d’amuse-bouches, quelques cinq heures à table volatilisées en un battement de paupière.

Photo Food Snob - peau de poulet croustillante, pain de seigle, fromage frais fumé et oeufs de lump

oeuf de caille fumé au foin

tuile de pain, mayonnaise aux oeufs de poisson, herbes, peau de canard, vinaigre déshydraté

« Alors, c’était comment ? » Stupéfiant, unique, différent.

Les repères qu’on croyait avoir sont bien loin, non pas parce que nos goûts marqués au poivre, à l’huile d’olive et aux agrumes sont perdus, mais parce que l’on est tout entier plongé dans une toute nouvelle expérience du restaurant. Qui commence avec le service : chacun leur tour, un des cuisiniers apporte un plat, le nomme et l’explique. Est-ce parce qu’ils ont eux-mêmes été cueillir les herbes que leur joie infiltre leurs mots ?

On déguste sans penser à ce que devrait être tel ou tel produit, on se laisse happer par l’esthétique des plats : pas d’effet whaou ni de constructions torturées, mais un visuel construit pour créer de l’émotion.

La technique et la pureté, parfois presque brutale, s’entremêlent dans cette cuisine de terroir. On reste sans voix devant ces saint jaques desséchées et ce mélange de céréales, ce salsifi caramélisé sous une peau de lait et crème de truffe noire du Gotland, ces marrons crus émincés baignés d'un beurre blanc léger aux oeufs de poisson, ou encore ce dessert : glace topinambour, disques de poire crue et disques de malt, dont l'amertume se colle au palais pour mieux donner du relief à la douceur de l'ensemble.


Cette cuisine hyperlocale n’a rien d’une figure de poseur ; elle est au service d’une certaine idée du respect. Entre le mangeur et le mangé, le lien jamais ne se rompt, et l’ingrédient garde la marque de son origine.

Cette langoustine, on s’en saisit avec les doigts, en effleurant la pierre chaude qui lui servait de support. On croque sa délicatesse en l’enrobant de l’émulsion d’huître et de la poudre d’algues, à mi chemin entre la douceur onctueuse et l’intensité troublante.

On se sent bien, là, dans cette grande salle claire, au milieu des sourires et de l’agitation enjouée. C’est sans doute tellement rare que l’évidence n’apparaît pas : on est véritablement accueilli, con vive.

Les récipients, l’absence de couverts sur de nombreux plats, le choix des matières, le jeu des température, tout fait du mangeur un vrai participant. Assiettes en feutre, œufs en porcelaine, pierres, cailloux … on touche, on ressent, on mange, on aime.
Détendus, on est d'autant plus réceptif à l'humour : le fameux pot de radis, leur terre de malt et noisettes et l'émulsion au herbes, ici une petite friture prisonnière d’une boule de beignet, là une fane de carotte pour le nez d’un bonhomme de neige en trois meringues.


Photo Food Snob



Ce n’est pas un scoop, ce qui se passe ici est important, fondamental pour la cuisine et le restaurant. Et on en veut encore.



***
noma
Strandgade 93, Copenhague 1401, Danemark
Réservation : noma.dk

4 commentaires:

  1. Je comprends mieux en quoi c'est "différent", ces cinq heures entre peaux de poulet et glace au topinambour. Parce qu'au fil des assiettes de pierre, une relation semble se nouer entre ces passeurs et celui qui est un peu plus qu'un client. Et ça, ça ne peut mieux marcher avec des gourmands comme toi, qui doutent d'être "à la hauteur"... Seems you were, dear!

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  2. Fondamentale c'est le bon terme pour exprimer le travaille de Rene.

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  3. Tout ce que tu écris est important, précieux. Le désir, l'attente, le doute, tout ce qui précède la rencontre avec la chair, la chère. Et puis le moment, cette danse masquée avec le produit, ce spectacle du balai, mais est-ce vraiment un spectacle tant il semble réel et juste, cette distance par l'humour, ce respect du mangeur et du mangé, cette unité défragmentée, ta joie, ces mots, merci Cookie.

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  4. Noma a justement détroné El bulli aujourd'hui comme meilleur restaurant du monde !! Je salive à lire cette expérience !

    Et puis, je découvre ton blog et ta plume aujourd'hui... et j'aime beaucoup ! Est-ce que c'est moi, où il y a bien une référence "Antigone-d'Anouilh" dans tes premières lignes ? (c'est une fan qui parle !)

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