Mais à un certain moment, les magazines donnent envie de faire des choses, des choses qui demandent généralement à la fois de l’argent et un déplacement géographique : car mettre à profit son pouvoir d’achat, ça se mérite, voyez-vous. Et puisque le Vélib’ et moi, comme chacun sait, ça fait deux, on a l’air un peu con, ma fièvre acheteuse et moi. Mais ça, à la limite, ça se repousse, y aura toujours moyen de se ruiner, surtout par les temps qui courent.
Et là, plaisir contraint, vous goûtez aux joies de l’attente, autorisant un retour sur soi, sur sa vie, son oeuvre, ses objectifs, rêves et attentes, regrets et remords, plan d'attaque à mettre en place, un mini bilan quoi – oui, car en 35 minutes on a bien le temps de faire un diagnostic quasi exhaustif – puis, enfin engouffrée entre un géant assurément inhospitalier et une naine frisée en fourrure tachetée (très douce, cela dit, la fourrure. je dirais du lapin des neiges), vous savourez la chaleur des contacts humains, les odeurs capillaires douteuses et autres détails subtils et délectables. Il y a une sorte de solidarité spontanée dans l’air – enfin, sauf la vieille au rouge à lèvre carmin (ou peut-être vermillon, ou pourpre, ou vermeil. Moche en tout cas) et à l’odeur capiteuse d’une fragrance d’avant-guerre qui se faufile subrepticement dans la rangée, aux aguets de la place qui se libèrera incessamment.
Enfin, vous dégustez avec une délectation non dissimulée la scène qui se met en place à quelques accolades de vous : deux hommes de bonne allure, l'un à lunettes, l'autre sans, style jeunes loups aux dents longues, costard cravate, after shave mentholé, gomina et attaché case, qui, soudainement, entament un échange verbal pas classe du tout. Ça commence simplement par un « excusez-moi, auriez-vous l’obligeance de décaler votre être corporel afin de frayer un chemin à cette lady qui émet l’hypothèse de descendre de ce véhicule mobile ? » et ça se poursuit malencontreusement par « Mais biiip (putain connard) tu vois pas que j’peux pas bouger, j’l’biiiip(emmerde) la lady, t’as qu’à bouger toi-même biiip (connard) ». Oh, oh … animation, animation !
Ce que j’aime le plus, dans ce genre d’aventure urbaine, c’est la répartie du type qui tente de garder son flegme et sa dignité quasi britannique, envers et contre tout, malgré la puissance de ses instincts bestiaux : « Heu, monsieur, je ne me serais au grand jamais permis de vous offenser, et je ne vous permets point de me tutoyer, nous n’avons guère élevé de canards colverts ensemble, me paraît-t-il, sommes-nous en harmonie intellectuelle sur la question ? » … Silence in the wagon, la tension est à son comble – certains tentent de s’éloigner tant que possible … « P… con….ard j’te tutoies si j’veux. Enlève tes lunettes de biiip (merde). Tu veux qu’on aille en parler dehors ??? »
Visiblement (mine déconfite du tout petit nain face à un King Kong affamé), l’homme n’avait pas le projet d’aller en parler dehors, ni d'enlever ses lunettes, et l’autre devait de toute façon descendre à Bourse. Fin de l’histoire. Voilà comment on commence une bonne journée.
J’adore Paris.
Comme tout le monde, j’en ai marre de cette situation ridicule, j’ai donc décidé de faire grève. Ça va faire bouger les choses, j’en suis sûre. Et puisqu’il faut faire les choses dans les règles, je lance d’abord un préavis. Je commence calmement avec une journée de grève des couleurs, avant des mesures plus radicales. Plus de vert pandan ni pistache, plus de rouge framboise, plus de marron chocolat, plus d’orange potiron, plus de jaune citron, rien, des non couleurs : noir et blanc.
Et une panacotta chocolat blanc et sésame noir, à l’agar agar et crème de soja of course, crémeuse à souhait, alliance délicate de la douceur du chocolat blanc et de la saveur si particulière du sésame noir.
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Panacotta chocolat blanc sésame noir
Pour 4 personnes
- 25 cl de lait
- 25 cl de crème de soja
- 120 g de chocolat blanc
- 15 g de pâte de sésame noir [+ 2 gouttes de colorant alimentaire noir (facultatif)]
- environ 1g d’agar agar
- quelques graines de sésame blanc
Faire fondre le chocolat blanc doucement au bain-marie.
Pendant ce temps, faire chauffer le lait, ajouter l’agar agar et laisser frémir 30 secondes. Baisser le feu. Ajouter la crème de soja et bien mélanger.
Diviser la préparation en 2/3 1/3 (à vue de nez): dans les 2/3, ajouter le chocolat blanc et bien mélanger, verser dans les verrines et faire prendre au congel 5 minutes.
Mélanger la pâte de sésame noir au 1/3 restant, ajouter une ou deux gouttes de colorant noir – ou pas, mais c'est plus classe – et bien mélanger.
Sortir les verrines et verser la préparation au sésame noir.
Réserver au frais quelques heures.
Décorer avec quelques graines de sésame blanc.