lundi 6 juillet 2009

Vis ma vie de pâtissière

Longtemps, je me suis couchée de bonne heure. (et là, lecteur, tu crains le pire, tu te dis que ses rêves d'écriture se réveillent et qu'elle va nous refaire la Recherche en mode vaguement naze. Et non, lecteur, ravale ton venin ! Pour Proust, on s'en tiendra au point proustien sur le pandan, qui date un peu, by the way, cf la nazitude des photos et la moyennitude des recettes de ménagères).

Donc : cette année, je me suis couchée de bonne heure. Car levée de bonne heure : ça, on commence à le savoir. Mais ce qu'on ne sait pas trop, finalement, c'est le pourquoi du comment ça se passe dans un labo de pâtisserie, en vrai ?

C'est qu'on se disait, moi et mes nouvelles chaussures, l'autre jour. On s'est donc dit qu'en cette dernière semaine chez Angie, cette dernière semaine de vraie vie de travailleuse laborieuse, on se devait bien de faire un reportage in situ.

Un peu de violette, chef ?

En vrai, on se réveille à 5h. Enfin, non : 5h03 (chacun ses manies), qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, que se soit Noël ou la Toussaint. Là, après enquête approfondie auprès d'un échantillon représentatif d'au moins 4 personnes, deux stratégies s'affrontent. Quelque soit l'heure, finalement, dès qu'un réveil sur scène, on note l'opposition de deux clans :

- ceux qui programment deux, trois, voire quatre réveils, réglés à cinq minutes d'intervalles et localisés à distance croissante du berceau du sommeil, soit un au pied du lit qu'on stoppe net, encore lové dans la ouate moelleuse de la couette ; un autre un peu plus loin, et plus fougueux, qu'on laisse éventuellement beugler dans l'attente du cri final : le dernier, astucieusement posté à bonne distance de l'alcôve nocturne, obligeant ainsi son propriétaire à s'extraire des bras de Morphée en insultant au choix : Dieu, Pierre Hermé, un certain P...tain de b...el de m...de.

- de mon côté, une seule solution : un seul réveil, un seul geste, une seule seconde. La sonnerie retentit, je ne réfléchis pas, je me hérisse, tape d'un geste sûr et affirmé, et me lève, sans chercher à savoir l'heure qu'il est, ni même l'année en cours.

Le programme est bien ficelé : allumer la cafetière préparée la veille au soir, filer dans la salle de bain, m'asperger d'eau glacée pour tenter d'arranger ma face boursoufflée, prise de café, pomme et yaourt en regardant mes mails, habillage, et hop, départ.

Il est donc 5h35 sur mon petit vélo, Paris s'éveille. Et, à ce moment, je savoure les rues désertes, les lumières douces et le chant des oiseaux (si, si, il y en a). Sur le chemin, toujours les mêmes camion de livraison de fruits et légumes, poissons et viandes, vêtements de travail. Toujours les mêmes gens étranges croisés : celui qui fait son jogging, celui en mode cycliste pro qui me double avec son vélo de course et sa gourde, celle qui se traîne rue Beaubourg, l'air hagard et un sac plastique rose à la main. Et toujours les mêmes groupes de jeunes ou moins jeunes gens alcoolisés, tentant en vain d'arrêter un taxi, une voiture, beuglant "à bicycleeeeeetteuuuuu" à mon passage ...

Il est 5h50, je salue les travailleurs matinaux de la rue, m'étire devant la porte close en attendant que quelqu'un l'ouvre.
Puis l'on se change, veste, pantalon pied de poule, tablier, chaussures de sécurité, charlotte de la hype qui tue.

6h00 - Tout est calme dans le labo. Et, en moins de cinq minutes, tout s'allume, tout s'agite, tout notre petit monde se met en place, telles de petites fourmis sachant exactement le rôle qui leur est alloué. Hop hop hop, on désinfecte les marbres, on jette un œil sur les feuilles de commandes, et tout peut commencer.


Les dizaines et dizaines de kilos de pâte de marron se détendent dans l'optique des centaines et centaines de Mont Blanc qui seront préparés chaque jour ; le lait est mis à chauffer pour le chocolat chaud Africain ; la crème légère se monte avant de garnir les mille-feuilles, fonds de tarte aux fruits rouges et autres ananas-fraise ; la ganache Eva se réchauffe doucement, les plaques viennoiseries sont sorties du panem (une sorte de frigo, une chambre de fermentation contrôlée, où poussent les pâtes levées) et sont dorées une à une avant d'être enfournées.


Généralement, c'est à Eva que je m'attaque en premier. Une trentaine ou quarantaine de tartelettes Eva : ganache chocolat noir et framboise, insert de crème brûlée à la vanille et fève Tonka, une quenelle de crème marscarpone à la vanille, une touche de crumble pour le croquant, un éclat de violette cristallisée pour le style. La sexyness faite tarte.
Une heure plus tard environ, je placerai dans une caisse celles qui seront livrées à Paris, Versailles ou ailleurs. Les autres seront mises au frigo avant que les serveurs ne descendent les chercher.


Une petite pause café et viennoiserie, et ça repart.

De 6h à 10h30 environ, c'est donc la fournée : la confection et le montage tous les gâteaux et viennoiseries qui seront envoyés au salon, en boutique et en livraison le jour même.
Hormi Eva, l'équipe s'attaque au montage, découpe et décor des mille feuilles (nature, fraise-pistache, mojito pour la carte du moment), décoration des Olympes, des Saori, des Paris-New York, des verrines Fraises, des minis cakes, glaçage des Choc Africain, confection des tartelettes aux fruits rouges, au citron, à l'ananas et à la fraise, des tropéziennes au café, garnissage des brioches pécan fourrées au gianduja ...


Une fois la fournée terminée, on passe aux mises en place, confection des diverses préparation dont nous aurons besoin dans les jours à venir, et au montage du gâteau du jour. Tout est une question d'organisation, en fonction de l'urgence des préparations, du temps diponible, des commandes à venir, de la météo, de l'emploi du temps de l'équipe, aussi.
Il n'est pas rare qu'une grosse commande de petits fours ou une réception privée au salon viennent modifier les programmes (c'est aussi sans compter les innombrables fêtes gourmandes qui ponctuent l'année) ; mais l'ambiance reste toujours plus proche de celle d'une gentille colonie de vacances que d'une brigade militaire.
C'est là un des enseignements fondamentaux de cette année : un sourire, une blague, une chanson, et les courbatures et les cernes s'allègent considérablement.


Pause déjeuner, ou pause tout court, et notre petite fourmillière continue d'oeuvrer ainsi, entre garnissage des dizaines de sortes de macarons, préparation des pesées pour le lendemain, des extravagances des clients ... (un Mont Blanc pour 12 personnes : mais oui, c'est possible !)
Vers 14h30, on entre dans la phase "nettoyage", à ne pas confondre avec la phase GRAND NETTOYAGE qui, régulièrement, nous ferait vendre père et mère pour avoir à disposition l'équipe de C'est du propre ... Un nettoyage, donc, qui ravirait ma chère mère (Madame Pschitt Pschitt, pour les intimes) : sols, marbres, portes des frigos, étagères, gaz, machines, robots ...

Aux environs de 15h, c'est la fin de la journée, les serveurs et cuisiniers persistent à te souhaiter une "bonne soirée". Le soleil m'éblouit, ça tombe bien : je préfère mettre mes lunettes de toutes façons, histoire de ne pas m'exposer aux paparazzis qui me harcèlent, c'est de notoriété publique. Mes jambes sont lourdes, les paupières aussi, je rentre et succombe à une flash sieste de 30 minutes. A peine le temps de dire ouf ouf ouf qu'il est 22 h, dodo time.

J'ai reçu un bon nombre de questions sur le déroulement de cette année, principalement de la part de personnes passionnées de pâtisserie, cherchant et hésitant à se reconvertir dans un milieu fait de chocolat et de sucre glace.
Soyons clair : après presque un an jour pour jour, je suis on ne peut plus heureuse de cette expérience. Heureuse d'avoir vu, fait et appris. Fière, surtout. D'avoir fait plus que de jouer à Vis ma vie, de m'être donnée à fond après avoir énormément douté, de m'être intégrée au sein d'une équipe que j'estime et admire profondément.
Mais à chacun son projet. Le mien est évidemment lié au monde culinaire ; et c'est précisément parce que je vis une passion dévorante que j'ai choisi une voie détournée, celle qui réunira mes différentes casquettes ... mais c'est une autre histoire. To be continued.

25 commentaires:

  1. Ouai ça tu peux être fière ! Parce que même si c'était provisoire, ce sont quand même des conditions de travail hardos ! En tout cas, à te lire, je me dis que je n'aurais pas pu tenir. A moins d'un véritable projet au bout...
    Mais du coup, maintenant que cette folle année est terminée, peut-être qu'on aura l'occasion de te croiser plus souvent sur ton blog ?!

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  2. super ton petit reportage !! je crois que j'adorerais passer une journée dans un labo de patisserie !!

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  3. C'est Beau! ça donne envie! Merci!... ça me fait penser souvent que: mais oui c'est ça ce que je veux faire!" Pas de suite, mais le déclic et moment voulu viendra je crois, surtout en lisant ce que je viens de lire...
    bon et j'attends avec impatience le to be continued... waiting for London news!

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  4. Quel beau "reportage", passionnant, et tu nous transporte dans ton monde....bravo, évidemment que tu peux être fière!!!

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  5. passionnante, grisante, cette description de tes rudes journées...
    je ressens aussi ça les (rares) fois ou je traverse Paris à 5h du mat (parfois faisant parie de cette horde semi-alcoolisée qui n'a pas vu la soirée passer), ou, mieux encore, quand je prends le train très tôt vers d'autres cieux. Cette fugace impression que Paris est vide, sauf quelques taxis ou piétons matinaux, j'adore. (surtout quand tu prends souvent le métro, tu rêves d'un Paris silencieux et vide, à la "seuls tout" de Eric et Ramzy ;)

    j'ai encore plus hâte de savoir ton projet ! Une boutique de folie dans une rue hype de Paris? Je peux faire ton étude de marché gracieusement si tu veux... (si je peux goûter un délice au pandan ;)
    bonne chance !

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  6. super le petit reportage! dis moi, est ce qu'il t'arrive de grignoter pendant toutes ces préparations de macarons, tartes et chocolat chaud? ;-)

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  7. magnifique, j'en ai les larmes aux yeux...
    moi aussi j'aimerai accomplir un rêve du genre, mais je ne me sens ni la force, ni le courage... tellement peur que cela échoue...
    bravo et merci pour ce témoignage !

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  8. AH BAH, du grand Toi assurément.
    Quel talent de conteuse, vraiment.
    C'est vrai que c'est émouvant...
    Mais c'est tellement mieux pour les copines, des horaires humains, que personnellement rien, non rien de rien je ne regrette.

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  9. c'est drôlement chouette de lire ça, e lire quelqu'un qui a eu du plaisir à faire tout ça, parcequ'il faut du courage pour se lancer, et encore plus pour tenir le rythme.
    bravo !
    voilà :)

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  10. J'ai adoré lire ton billet (et j'ai découvert ton blog par la même occasion ;-)) !! Etant moi aussi dans le métier (et aussi une fille lol), je me suis régalée en me plongeant dans ta vie de pâtissière, enfin... ce bout de vie de pâtissière ! ;-) Et concernant les réveils, je suis dans le cas de ceux qui ont besoin de plusieurs réveils à plusieurs minutes d'intervalles (et idem pour les distances ! lol) donc j'ai comme l'impression de ne pas être la seule dans ce cas là, ca rassure presque ! ;-) Par contre contrairement à toi mes horaires sont plus matinales, je ne m'y fais toujours pas (je ne suis pas du tout, mais du tout du matin !!! Gros problème pour ce métier !! lol ;-)) et je ne pense pas que je réussirai à m'y faire un jour... En tout cas tu as vraiment eu de la chance de travailler un tel endroit !! C'est vraiment extra pour toi !! :-) Je ne sais pas quels sont tes projets pour la suite, mais bonne continuation en tout cas !

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  11. Quel planning!!!En tout cas félicitations!

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  12. Super de chez super ce reportage !! On s'y croirait et on a envie d'y être surtout !
    Bon pour l'heure du lever je gagne haut la main puisque c'est 4 heures chez moi ! mais à chacun son rythme !!
    En tut cas un très grand bravo et surtout une bonne continuation dans tes projets ! on a hâte d'en savoir un peu plus

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  13. Je suis tout simplement admirative, et un peu envieuse aussi (sauf pour les levers à 5h03 - j'adore ta précision).
    Bravo pour le diplôme, largement mérité, et bonne continuation au Cookie masqué !

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  14. Wouahh ça fait rêver, c'est sublime ! Jolie voie que tu suis et jolie passion qui te dévore !! Fière c'est sûre tu peux l'être !

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  15. se lever naturellement à 4h me paraît tout à fait incongru, mais je tente de le concevoir comme possible ...

    Entre 15h et 22h, je vis ! mais maintenant que cette période là est finie (depuis la semaine dernière), je me consacre entièrement au questionnaires ;-)

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  16. Hello le cookie lève tot. c'est un sacerdoce ce métier tu as raison on entre en religion entre matines et vêpres. Je suis une lève tot pour beaucoup, 7h30 au bureau jusqu'à 18h30 - réveil immédiat en règle générale je réveille mon réveil... et comme toi mais un peu plus tard, j'adore ce début de journée encore calme, les boulangers fument une clope sur le trottoir car la première fournée est lancée, pas de stress dans la circulation.

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  17. magnifique reportage. la prochaine fois, appelle-moi, je ferai un reportage sur ton reportage. en plus j'adore les l^ve-t^t.

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  18. J'admire beaucoup ton courage, ta volonté et ton investissement dans cette aventure. Bravo, tu peux effectivement être fière ! Bises (PS : je testerai le Mazeltov de JP Hévin... merci) ;)

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  19. Bonjour! Je viens de croiser votre commentaire sur "1000 choses a faire a Paris".

    Habitant tout pres de Londres, la curiosite m'a fait cliquer. Et quelle merveille que votre blog! Bravo, il seduit... au premier coup d'oeil.

    Bienvenue bientot a Londres, donc, et si je peux vous aider pour quoi que ce soit, n'hesitez pas...

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  20. vivement la suite. j'aime beaucoup l'expression "je me hérisse" au son du réveil. c'est exactement ça.

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  21. Chocoralie est une super amie, moi je dis il faut foncer si elle veut vous aider!! en plus je trouve que vos blogs font echo, une collaboration bientot?

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  22. Baraginie: il vaudrait mieux pas pour le Cookie Masque, je devorerais au fur et a mesure de ces creations si elles sont aussi bonnes que belles... Il faut absolument un reflex entre ces gateaux et moi!

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  23. Ce récit rappellera que ce métier a un rythme vraiment difficile mais que fort heureusement certains comme toi ont le courage de faire. Merci

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  24. ça fait tout simplement rêver. J'aimerai bien y être un jour dans ce labo

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  25. Passionnant ton ptit roman de Vis ma vie ;-)
    Eprouvantes ces aventures mais je suppose que ce ne sont que des bons souvenirs !
    Angelina est un endroit vraiment top, j'y suis allée qq fois pr un bon chocolat... mmm !

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