jeudi 29 avril 2010

Patriiiiick, l'interview ! (avec de vrais morceaux de chocolat dedans)


Pour les deux du fond n'auraient pas suivi, je répète : le chocolat et moi, c'est une longue histoire. Car voyez-vous, j'ai été très bien élevée par une maman Cookie totalement chocoholic ...

Résumé des épisodes précédents : avant, à la maison, on était Maison du Chocolat, puis s'en suivit une longue et belle période JP, ses macarons amers et ses rochers. Reste également dans mon coeur le what else du chocolat, Pascal Le Gac. Sans compter l'épisode chocolat chaud Angelina, les chocolats homemade et hyper hype, ou ma récente orgie de Chocolaterie de l'Opéra.

Après JP, donc, il y a, un jour, l'arrivée de Patrick. Patrick Roger et ses rochers pralinés, ses orangettes, ses ganaches citron, citron vert, citronnelle, thym citron ... Patrick et sa tablette pralinée ... Patrick et son pavé de mai ... Patrick et sa danseuse.

Passer de ce côté-là de la force, c'est y rester à jamais, soyez prévenus.

Et comme j'ai eu le plaisir de passer quelques moments en sa compagnie pour la newsletter CCDessert, je vous fais partager les quelques mots du maître.

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Patrick Roger : chocolatier artiste, artiste chocolatier, indissociablement. La fantaisie qui règne dans cet univers ne saurait exister sans la rigueur extrême nécessaire à la maitrise de cette matière délicate. Ces deux facettes, l’une et l’autre guidées par le goût et l’émotion, sont réunies à Sceaux, sous le toit de l’ancienne imprimerie qui abrite le laboratoire flambant neuf de Patrick Roger.


Les grands volumes permettent de loger sans accrocs les pièces insolites de l’artiste chocolatier, qui s’accumulent au fil des années : ici de petites Fanny alignées, radieuses danseuses aux formes gourmandes et sensuelles, là d’immenses ours polaires, comme pris sur le vif.


Dans le jardin poussent une partie des herbes aromatiques qui seront utilisées pour la confection des ganaches, tandis que dix ruches s’apprêtent à fournir leur première récolte de miel, que Patrick Roger compte bien intégrer à la recette d’un bonbon. Le goût, vrai et juste, voilà le mot d’ordre du maître, résolument à part.


Vous êtes Meilleur Ouvrier de France depuis 2000, ce qui peut paraître paradoxal pour votre personnage ; pourquoi avoir voulu passer ce concours ?
Parce que ça occupe ! Plus sérieusement, c’est une exigence technique qui fait avancer. Mais ce n’est rien d’avoir le MOF, il faut surtout rester digne du titre sur le long terme. Rester au top, c’est cela le vrai défi.

Comment êtes-vous tombé dans le chaudron de chocolat ?
Je suis entré dans le monde du chocolat par hasard. Mes parents m’ont mis en apprentissage en pâtisserie, puis je suis entré chez Mauduit à Paris. A l’époque, en 1986, l’apprentissage, la pâtisserie, c’était la voie de garage. C’est là que j’ai découvert le chocolat. En réalité, c’est le chocolat qui va me découvrir. C’est la matière avec laquelle j’ai compris que je pouvais construire ma vie, et le reste. Le chocolat est un passeport pour le monde.

Où puisez-vous votre créativité ?
Les démarches de « création » et de chocolatier sont indissociables. C’est le hasard total qui me guide, le goût de la découverte. Je m’inspire de tout ce qui m’entoure : les goûts, les rencontres, les gens, les produits. Tout ce que l’on voit est une source de créativité.

Comment définir votre ligne de goût ?
J’ai des goûts très simples, le goût des choses justes, des produits du jardin ... Ce qui est important, c’est la justesse et l’équilibre des saveurs.

Le goût – ça s’apprend ?
Je ne sais pas … je ne crois pas. C’est une question de perception et de sensibilité ; je crois qu’une grande partie est innée.

Le goût de votre madeleine ?
Le chausson aux pommes. Et la pâte à chou, tout juste sortie du four …

Le goût de votre plus grande découverte ?
Le foie gras poêlé, chez Bocuse.

Un moment ou une occasion privilégiée pour le chocolat ?
Vers 21heures. Mais surtout avant les repas, lorsque le palais est disponible. C’est comme pour les desserts, les pâtisseries : on ne peut jamais profiter d’un dessert qui arrive après un repas, à un moment où l’estomac est plein et où l’on est saturé en goûts, il faut des moments à part.

S'il ne devait en rester qu'un ?
Tout ce qui est ici est bon ! Mais le rocher praliné reste un favori.

L'avenir ?
L’avenir, c’est continuer à créer le goût, et à le transmettre.
Nous avions pensé au Japon, mais il y a beaucoup de chocolatiers français là-bas, et le marché fonctionne énormément grâce aux médias et à l’effet de mode, qui ne dure généralement que 2 ou 3 ans.

Êtes-vous un homme heureux ?
Plutôt, oui !

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Patrick Roger : infos et adresses

jeudi 22 avril 2010

noma experience


Je suis une gourmande, mêlée d’une impatiente. Je veux, tout de suite, ici, maintenant, déguster, savourer, profiter. Si l’envie survient, elle sera brutale, franche, et un brin capricieuse.

Une exception pourtant : qu'il est bon de laisser monter ce désir intense avant un repas d’exception. Ces repas aux attentes si élevées que leur arrivée devient presque angoissante, ils sont rares, et cette rareté ne joue certainement pas pour rien dans leur saveur.

Photo Food Snob

La réservation plusieurs mois à l’avance ne me dérange pas ; ça y est, notre nom est inscrit, le moment peut entrer dans l’esprit, on y pense de temps en temps, on l’oublie finalement pour mieux le laisser resurgir quelques semaines avant. Là, et jusqu’au jour d’avant, le désir qui mijotait tranquillement dans un coin de l’esprit se met à frémir puis entre en ébullition. L’excitation et l’espérance sont à leur comble ; mais le doute s’en mêle : n’a-t-on pas trop enjolivé l’affaire ? et si c’était un jour « sans » ? suis-je suffisamment en forme ? serai-je à la hauteur ?


Le jour n’est pas levé, nous filons vers l’aéroport, direction Copenhague. Le moment est venu, j’ai mémorisé l’itinéraire par cœur, excitée comme une puce, et nous trottinons gaiment.
Au bout de la presqu’île, improbable : Noma.


Dans un pays où ne règne pas a priori d’évidence gastronomique, ce lieu est sans doute une curiosité. De fait, le succès a pris son temps pour parvenir jusqu’ici. Des années durant lesquelles René Redzepi a poursuivi son engagement pour une cuisine locale, celle qu’on appelle désormais la nouvelle cuisine nordique, dont la philosophie est synthétisée dans son manifeste.

Cet engagement, c’est le cœur de Noma. C’est ce qui lui a permis de naître en 2003 lorsque, approché par Claus Meyer – le plus grand foodie du Danemark – Redzepi a été choisi pour faire vivre et offrir au monde la gastronomie locale, en faisant exploser une créativité au travers d’ingrédients et de produits ; tel un flagship store, il fallait un lieu où puisse s’exprimer le potentiel de cette cuisine. Ainsi naquit Noma, ou NOrdisk MAd, cuisine nordique.

C’est le mot vérité qui s’impose d’abord, tant par le décor sobre et chaleureux que par l’accueil. Ces sourires-là ne mentent pas.

Commence l’expérience, le menu nassaaq, en douze plats, une demie douzaine d’amuse-bouches, quelques cinq heures à table volatilisées en un battement de paupière.

Photo Food Snob - peau de poulet croustillante, pain de seigle, fromage frais fumé et oeufs de lump

oeuf de caille fumé au foin

tuile de pain, mayonnaise aux oeufs de poisson, herbes, peau de canard, vinaigre déshydraté

« Alors, c’était comment ? » Stupéfiant, unique, différent.

Les repères qu’on croyait avoir sont bien loin, non pas parce que nos goûts marqués au poivre, à l’huile d’olive et aux agrumes sont perdus, mais parce que l’on est tout entier plongé dans une toute nouvelle expérience du restaurant. Qui commence avec le service : chacun leur tour, un des cuisiniers apporte un plat, le nomme et l’explique. Est-ce parce qu’ils ont eux-mêmes été cueillir les herbes que leur joie infiltre leurs mots ?

On déguste sans penser à ce que devrait être tel ou tel produit, on se laisse happer par l’esthétique des plats : pas d’effet whaou ni de constructions torturées, mais un visuel construit pour créer de l’émotion.

La technique et la pureté, parfois presque brutale, s’entremêlent dans cette cuisine de terroir. On reste sans voix devant ces saint jaques desséchées et ce mélange de céréales, ce salsifi caramélisé sous une peau de lait et crème de truffe noire du Gotland, ces marrons crus émincés baignés d'un beurre blanc léger aux oeufs de poisson, ou encore ce dessert : glace topinambour, disques de poire crue et disques de malt, dont l'amertume se colle au palais pour mieux donner du relief à la douceur de l'ensemble.


Cette cuisine hyperlocale n’a rien d’une figure de poseur ; elle est au service d’une certaine idée du respect. Entre le mangeur et le mangé, le lien jamais ne se rompt, et l’ingrédient garde la marque de son origine.

Cette langoustine, on s’en saisit avec les doigts, en effleurant la pierre chaude qui lui servait de support. On croque sa délicatesse en l’enrobant de l’émulsion d’huître et de la poudre d’algues, à mi chemin entre la douceur onctueuse et l’intensité troublante.

On se sent bien, là, dans cette grande salle claire, au milieu des sourires et de l’agitation enjouée. C’est sans doute tellement rare que l’évidence n’apparaît pas : on est véritablement accueilli, con vive.

Les récipients, l’absence de couverts sur de nombreux plats, le choix des matières, le jeu des température, tout fait du mangeur un vrai participant. Assiettes en feutre, œufs en porcelaine, pierres, cailloux … on touche, on ressent, on mange, on aime.
Détendus, on est d'autant plus réceptif à l'humour : le fameux pot de radis, leur terre de malt et noisettes et l'émulsion au herbes, ici une petite friture prisonnière d’une boule de beignet, là une fane de carotte pour le nez d’un bonhomme de neige en trois meringues.


Photo Food Snob



Ce n’est pas un scoop, ce qui se passe ici est important, fondamental pour la cuisine et le restaurant. Et on en veut encore.



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noma
Strandgade 93, Copenhague 1401, Danemark
Réservation : noma.dk