Rappelons en premier lieu la définition du mot, par le Trésor de la langue française : « 1. Action de tuer, de mettre en pièces (d'une manière violente et sanglante) une grande quantité d'animaux ou d'hommes ; 2. Résultat de cette action. »
Cette semaine, toute empreinte d’enthousiasme et d’entrain à la tâche, j’accepte la demande de mon nouveau boss : un dessert innovant pour dix personnes.
Précisons au lecteur errant qu’à mon nouveau stage, l’innovation est une sorte de religion, et celui qui aurait le malheur d’avoir moins de trente trois idées ou trouvailles innovantes à la minute va au coin à durée indéterminée. C’est aussi un endroit où l’on peut lire sur une porte « Pour améliorer la rentabilité de l’entreprise, merci de courir dans les bureaux ».
C’est donc dans ce cadre de travail stimulateur de créativité que j’ai établi l’esquisse du dessert innovant de la semaine. Du pandan, of course, des éclairs au pandan, why not, et avec une glace au curry, c’est pas de l’innovation ça ?
Ben si. Sauf qu’évidemment, l’innovation, c’est comme Proust : il faut pas se décourager, et c’est en la pratiquant qu’on l’apprécie finalement.
Ajoutons à cela qu’innover tout le jour, ça donne parfois un cerveau un peu ramollo. Alors le soir, quand je rentre, je devrais peut-être faire une mini sieste avant de me relancer dans l’innovation. Bref, c’est un peu à l’ouest que je me suis lancée dans la confection des éclairs, de la crème pâtissière au pandan, et de la glace.
Ça commence. Après une demie heure de pesage des divers ingrédients et de calcul mental de proportions, j’ai mal aux cheveux. Tentative de saupoudrer quelques grains de vanille dans la crème pour la glace ; ah ben non en fait, c’est la production annuelle de vanille de Madagascar qui est tombée, comme ça, sans prévenir. La moitié de la glace récupérée, je reprends une tournée de glace. Une forêt de gousses de vanille massacrée.
Soit, on n’est pas encore au niveau carnage.
La pâte à choux : l’étape cruciale étant de bien sécher la pâte dans la casserole avant d’ajouter les œufs battus, je m’y consacre avec d’autant plus d’attention et d’ardeur.
La casserole a succombé à ses blessures.
Passons. La poche à douille n’est même pas trop réticente, et je sors les éclairs du four plutôt satisfaite. Mais, oups, plof, tous plats, tous humides, pas beaux. Mais feront peut-être l’affaire.
La crème, rien à dire, tout va bien. Bien vert fluo, bien pandannée, bien. Je tente le fourrage d’un éclair. C’est moche, c’est mou, c’est pas de l’innovation, c’est juste naze. Je regarde les éclairs calmement.
Je tente de reprendre le cours de la glace en versant la préparation dans la sorbetière. Oups again, je remarque qu’une coulée volcanique dégouline sur le plan de travail, mon jean et mes chaussettes, avant de s’étaler pitoyablement sur le sol. Sensation de fraîcheur crémeuse, j’adore. Encore un décès sur mon passage.
Je tente de réfléchir vite et bien. Je ne m’énerve pas.
Et je repense à cette recette évoquée sur le thème des carnages culinaires autour d’un bon repas : l’angel food cake. Car dans mon frigo plein d’échec, il y a aussi une vingtaine de blancs rescapés des précédentes étapes. Angel cake then. C'est un gâteau américain fait presque uniquement de blancs et de sucre, très léger en texture, que l'on réalise d'habitude dans un tube pan (un moule normal avec un trou au milieu en gros)
J’ai de la chance d’avoir pour nouvel ami Mr. Aid, Kitchen Aid. En deux coups de fouet à mouvement planétaire – la classe naturelle du Kitchen Aid, surtout le rouge – les blancs étaient montés. Angel cake enfourné, plus qu’une heure à attendre. J’ai sommeil.
Four éteint, je règle mon réveil très tôt et sombre dans une nuit agitée, faite d’innovations avortées et de réputation culinaire dilapidée.
Petit matin, j’observe l’angel food cake attentivement, le scalpe et le fourre de crème au pandan. Je crois que ça va pas être possible. Innover, c’est bien, mais là c’est quand même pas la grande classe.
En revanche, la glace est vraiment bonne. A nouveau, je tente de réfléchir aussi vite que l’heure me le permet. Une heure plus tard, je m’étonne de sortir du four une fournée de macarons à la pistache honorable. Plus le temps pour une photo, hop, je me dirige vers le métro, laissant derrière moi bien des cadavres, et une inconsolable prise de conscience : FEU PANDAN.
Plus rien, l’or vert a trépassé ; le pot vide repose sur l’autel de mon carnage.
Bilan à J+2 : selon les dires, ma manière d’innovation a eu quelque succès, et j’ai compris que l’innovation nécessite de la patience. Espérant voir tomber du ciel une cargaison d’or vert, j’ai repris le cours de l’éclair, pour être fin prête le moment venu.
Ce ne seront donc que des éclairs au chocolat, mais réussis, tout de même.
Glace au curry
25 cL de crème liquide
100g de sucre
4 jaunes d’oeufs
1 pincée de vanille
1 cc rase de curry doux (mais chacun son curry)
Blanchir les jaunes et le sucre. Ajouter la vanille.
Porter le lait et la crème à ébullition, verser sur les jaunes, mélanger avec une cuillère en bois et remettre sur le feu jusqu’à ce que la cuillère soit nappée.
Laisser refroidir et ajouter le curry (je ne l’ai pas mis à chaud pour ne pas qu’il parfume trop le mélange).
Placer au frigo et turbiner 15 minutes.
Angel Food Cake
80 g de farine + 30 g de maïzena200 g + 100 g de sucre
une pincée de sel
quelques gouttes de jus de citron 1/2 cc d'extrait de vanille
Tamiser la farine au dessus du mélange, et l'incorporer à la maryse. Verser dans un moule et lisser la surface. Taper le moule sur le plan de travail pour enlever les bulles d’air et enfourner 1 heure environ.
La suite, au cas où : couper l’angel cake en deux dans la hauteur et le garnir d’une crème pâtissière au pandan (recette normale + une cs d’extrait naturel de pandan lorsque le mélange a déjà un peu refroidi). Refermer et saupoudrer de sucre glace
Eclairs au chocolat
80ml d'eau
100 ml de lait entier
1 pincée de sel
1 cc de sucre
75 g de beurre
100 g de farine
3 oeufs entiers
Pour la crème pâtissière:
30 g de maïzena
80 g de sucre
350 ml de lait entier
4 jaunes d'oeuf
35 g de beurre à température
100 g de chocolat noir 70%
Pour le glaçage :
Fondant pâtissier
Cacao en poudre non sucré (environ 5 cs)
Pâte à choux
Porter à ébullition l'eau, le lait, le beurre, le sel et le sucre.
Ajouter la farine en une fois en tournant très énergiquement quelques minutes à la cuillère en bois pour sécher la pâte. Elle doit former une boule compacte qui se détache des parois. Battre les œufs et les ajouter en plusieurs fois en mélangeant bien la pâte entre chaque.
Préchauffer le four à 180°.
Verser dans une poche à douille (12 ou 14) et former des bâtonnets de 12 cm de long sur une plaque recouverte de papier sulfurisé.
Enfourner environ 25 minutes.
Sortez les éclairs et laissez-les refroidir.
Crème pâtissière : dans une casserole, verser la maïzena, la moitié du sucre et le lait, mélanger et porter à ébullition en fouettant.
Dans un bol, fouetter les jaunes d'oeuf avec le reste du sucre, verser un peu du mélange bouillant et remettre à cuire en fouettant. Lorsque la crème a bien épaissi, ajouter le beurre et le chocolat hâché. Laisser refroidir.
Les éclairs : verser la crème pâtissière dans une poche à douille (petite douille). Percez la pâte de l’éclair à l’extrémité avec la douille et garnir de crème pâtissière.
Glacer les éclairs : faire fondre doucement du fondant avec du cacao non sucré et en verser un peu sur les éclairs. Lisser et placer au frais.