Cher Lecteur (notez la majuscule de majesté qui place d'emblée ledit lecteur en position d'excellence et de supériorité, c'est dire si je t'estime, cher lecteur), j'ai failli à la promesse établie entre moi et moi-même, promesse de présence et de régularité sur Tronche de Cake, promesse de réinvestissement de cette identité virtuelle et néanmoins tangible.
Pour ma défense, la période est floue, non que je sois perdue dans un marasme philosophico-analytique, ni taraudée par des tracasseries sentimentales, ni même déboussolée par un dilemme introspectif sur le bien-fondé du salé au petit-déjeuner.
Non, il est simplement question de frontières et de transitions : entre mon Paris chéri et ce Londres séduisant, surprenant, et parfois déroutant ; entre les survivances de travaux estudiantins et le vrai début d'une vie professionnelle accompagnée de paperasse réjouissante ; entre une vie à un et les joies d'une vie à deux.
Mais surtout, transition prolongée entre mon appartement parisien et notre maisonnette londonienne, la faute à un déménageur au sens de l'humour exacerbé, un monsieur au nom trompeur qui semble avoir le comique de répétition dans le sang. Voyez plutôt (âmes sensibles s'abstenir) :
Début août, alors que je me lamente sur les tarifs exorbitants du transport outre-manche de mon bordel organisé, un appel de Mr N. me redonne du baume au cœur en me proposant le "groupage" de mes petites affaires avec d'autres clients, pour une somme conséquente mais mesurée. Convaincue de bénéficier d'un don du ciel, je me réjouis de cette trouvaille et tombe d'accord avec Mr N. sur les dates d'enlèvement et de livraison, une grosse semaine de délai qui paraît alors tout à fait raisonnable.
Début septembre, alors que la date du départ approche, je décide de vérifier que mon charmant transporteur viendra bien le jour convenu : "Heuuu, c'est pour où déjà vous ? ... Ah oui bien sûr Mme Cookie, bien sûr ! Mais laissez moi vous rappelez !"
Les jours passent, je trouve tout de même étrange que les départs d'une entreprise de déménagement à l'étranger ne soient pas programmés un minimum en avance, je rappelle : "Heuuu, c'est pour où déjà vous ?... Oui oui bien sûr, sans problème Mme Cookie, je vous rappelle pour confirmer !"
A J-7, toujours rien ... " Ahhh Mme Cookie, c'est pour où déjà vous ? ... Heuu oui oui oui je vous rappelle !"
A J-4, alors que les 3/4 des cartons ne sont pas scotchés : "Ah oui Mme Cookie ! vous, c'est pour où en fait ? ... Ah donc en fait ça va pas être possible pour cette date hein ! on va faire ça demain, le camion sera là à 8 heures ! A votre service Mme Cookie !"
Demain ? comme dans "demain" ? Alors que j'ai une soutenance à préparer et quarante mille formalités administratives à régler ? Je reste calme et, dans un tourbillon de papier bulle et de marqueur indélébile, je mets mon chez-moi dans des grandes boîtes, en ne gardant donc que le minimum vital pour une semaine.
Le jour J, 3 heures après l'heure prévu, un camion et deux surhommes polonais déboulent sur ma moquette et embarquent ma vie en 15 cartons, un kitchen aid (rouge!), un fauteuil club et un vélo.
Ayant procédé à un tri ultra sélectif, je méprise ceux qui ose me dire "ne mets rien de trop précieux dans les cartons hein !". Evidemment, mes 50 millions de dollars en petites coupures, ma rolex inscrustées de saphirs ouzbèques et mon macbook pro, je ne les ai pas mis dans les cartons, soyons clair. Mais tout ce qui a échappé à la benne ou au don est évidemment précieux, réellement ou symboliquement.
Bref, une bonne chose de faite. Un peu inquiète, je suis tout de même soulagée. Je veux simplement être certaine de la date et de l'heure de la livraison. Le comique reprend ; après une dizaine de "Bien sûr Madame Cookie, vous allez où vous déjà ??? ... Je vous rappelle tout de suite pour vous confirmer ça, bien sûr, bien sûr ! ... Mais oui JE VOUS PROMETS JE VOUS RAPPELLE !" (notons au passage que, dans ma naïveté infinie, je tente de me persuader que, s'il a promis, il va le faire !), j'ai finalement une réponse :
"Oui alors la livraison sera le 26 octobre ! voilà Mme Cookie ! "
Je ne manque pas de m'exclamer dans un cri psychotique que, oui, mais là on est même pas le 20 septembre ...
"Ah mais vous saviez bien qu'avec les groupages, ça prend du temps"
Je savais bien ? Je savais bien quoi ? Qu'on m'avait assuré dix jours maximum ? Que j'ai signé un devis où la livraison était notée pour le 26 septembre, pas octobre ? Que toute ma vie est je ne sais où avec des polonais (no offense) ? Que j'ai un jean et 3 t-shirts pour m'habiller pendant 40 jours ? Ou que, pire que tout, n'ayant ni l'envie ni le budget pour racheter tout en double, je ne vais pas pouvoir cuisiner pendant tout ce temps ?
La fureur et l'exaspération atténuées, il reste que cette période transitoire se fait un poil longuette. Avec deux assiettes, un verre et une poêle, j'ai du mal à faire des miracles en cuisine. Mais comme, aux dernières nouvelles de Mr N. (je passe sur les détails hautement crispants), la cargaison devrait arriver demain (dans quel état, telle est la question), l'espoir culinaire revient.
En attendant, et histoire de noyer le chagrin causé par la perte de ma viennoise et de mon flan adorés, j'ai eu le loisir de tester les très conseillés Ben's Cookie (very good indeed, comme je les aime, soft baked, en l'occurrence au praliné), de me réjouir de troquer le Monop contre Waitrose, de me promener au milieu des écureuils, de passer un très bon moment avec un snob autour d'un déjeuner moyen au pop up restaurant de Pierre Koffmann, et un autre très bon moment autour d'un superbe déjeuner au Sketch, d'observer les incongruités londoniennes (des gens déguisés en canard dans le métro, des filles même pas déguisées en actrices porno d'M6 version 80's, j'en passe), de me promener dans le College d'Eton comme dans une hallucination Harry Potterienne, de découvrir les délices de fromages british de Neal's Yard Dairy, de manquer de me faire écraser toutes les 2 minutes à cause de cette f...ing conduite à droite, de me promener le dimanche au marché, ou dans Brick Lane et Columbia Flower Market, de manger une crêpe hors de prix à Hampstead, de profiter d'un beau temps inespéré, d'être déçue chez Yauatcha ... Et tout un tas d'autres choses qu'il me sera nettement plus agréable de narrer une fois vraiment installée dans cette formidable petite maison, dans ce quartier so trendy, dans cette ville aux mille et une amazing surprises.
Sincere apologies, donc. And stay tuned.